Précarité énergétique : « Sans les bénévoles, on n’aurait pas su à qui s’adresser ! »
Dans le Poitou, une équipe bénévole du Secours Catholique vient en aide aux ménages en situation de précarité énergétique. Objectifs : repérer et épauler les foyers en difficulté pour se chauffer, qu’ils soient locataires ou propriétaires, et accompagner des chantiers de rénovation thermique.
Bressuire, dans les Deux-Sèvres. En cette fin mai, Marc et Louis, bénévoles « précarité énergétique », se présentent au domicile de Sandrine. Cette quadragénaire vit avec sa fille de 9 ans dans une maison de ville mitoyenne. Elle y a emménagé en août de l’année précédente, après une séparation. Auxiliaire de vie scolaire, elle est en arrêt maladie, tout juste sortie de traitement. Son assistante sociale lui a conseillé de faire appel au Secours Catholique au vu des factures d’énergie élevées qu’elle peine à régler.
« 1600 euros par an pour 55m2, c’est beaucoup trop, confirme Marc, avant d’appuyer sur la sonnette et que Sandrine les fasse entrer. Ça devrait tourner autour de 600 euros ». Marc est le « technicien » au sein du binôme qu’il forme avec Louis : il a fait toute sa carrière professionnelle dans une régie d’électricité.
« On se restreint sur tout. Je chronomètre les douches de ma fille. »
Installés à la table, dans la pièce à vivre, les deux bénévoles sortent factures et calculatrice. C’est leur deuxième visite chez Sandrine. « Je suis votre tiers de confiance, rappelle posément Louis, directeur de lycée à la retraite. Je suis là pour garder le lien avec vous, répondre à vos questions, vous orienter vers d’autres aides si besoin ».
Sandrine est inquiète : son fournisseur de gaz lui annonce une facture de régularisation de plus de 1000 euros, alors qu’elle s’acquitte déjà de 70 euros mensuels et qu’elle n’a que très peu chauffé durant l’hiver. « On a tout le temps froid dans cette maison, se désole-t-elle. J’ai coupé la chaudière en mars et acheté un poêle à pétrole. Et aussi des couettes pour qu’on se réchauffe le soir quand on regarde la télé. On se restreint sur tout. Je chronomètre les douches de ma fille. »
« Le problème, c’est la maison : une passoire énergétique »
Marc et Louis refont les comptes. Pas d’erreur : les factures de Sandrine sont à la hauteur de ses consommations. « Son comportement n’est pas en cause, observe Marc. Le problème, c’est la maison : une passoire énergétique ». Pas ou peu d’isolation comme Marc le constate grâce à son pistolet à infrarouge qui mesure les déperditions thermiques ; pas de ventilation ; une chaudière ancienne…
Le binôme fait le tour des pièces, guidé par Sandrine qui pointe les dégradations récentes : le carrelage du séjour qui se fissure ; les moisissures qui grignotent murs et plafonds dans les chambres, l’eau qui rentre dans les toilettes à la moindre averse… « Je filme tout, je fais des photos. Dans la galerie de mon téléphone, il n’y a plus que ça », se désespère Sandrine.
« Le propriétaire ignore mes appels »
« Je n’ai jamais osé mettre le pied dans la cave, poursuit la locataire, tandis que Marc s’y risque, éclairé par la lampe torche de son téléphone. On m’a dit que ce n’était pas beau à voir ». De retour en surface, le bénévole confirme l’état déplorable du sous-sol, soutenu par des tasseaux. Non seulement Sandrine ne parvient pas à chauffer correctement la maison, mais elle subit aussi l’inconfort, voire la dangerosité, d’une maison qui n’a pas été entretenue au fil des années. « Le propriétaire ignore mes appels, enrage-t-elle. Je suis en train de faire mes cartons, je dois déménager pour préserver ma santé et celle de ma fille ».
Les relations entre Sandrine et son propriétaire sont difficiles. Sandrine témoigne de sa fatigue mentale.
Faible marge de manœuvre
Déterminée à ne pas rester prise au piège de ce logement, Sandrine s’est tournée vers une association pour être aidée dans sa recherche d’une nouvelle location rentrant dans son petit budget. « N’hésitez pas à nous appeler quand vous aurez trouvé, proposent les bénévoles du Secours Catholique. On pourra vous conseiller sur les caractéristiques énergétiques du nouveau logement ».
D’ici là, pour tenter de faire réagir l’actuel propriétaire de Sandrine, Marc et Louis ont rédigé un courrier à son adresse, l’invitant à entreprendre des travaux de rénovation. Sans réponse de sa part. La marge de manœuvre des locataires – même soutenus par des tiers – face aux propriétaires réticents ou dans l’incapacité de mener des travaux, est faible, reconnaît Marc.
Kits pour sensibiliser aux économies d'énergie
Avant de partir, les bénévoles s’assurent que Sandrine a bien pris en main le kit éco-gestes qu’ils lui ont remis lors de leur première visite. Ces kits sont fournis par l'agglomération du Bocage Bressuirais. Il contient un thermomètre trois fonctions (indiquant les températures adéquates à maintenir dans un frigo, un congélateur et dans l'ensemble du logement), des ampoules Led, un aérateur pour réguler le débit du robinet d’eau et un sablier pour contrôler la durée des douches.
« Lors de nos visites aux locataires en difficulté, nous essayons d’intervenir à plusieurs niveaux, résume Marc : nous épluchons leurs factures ; nous essayons de trouver des solutions « administratives » pour qu’ils puissent les payer ; nous faisons des constats sur le logement ; et nous remettons ces kits, pour sensibiliser aux économies d’énergie ». Marc a ainsi une trentaine de visites à son actif depuis son engagement dans l’équipe de Bressuire il y a trois ans.
Argentonnay, à 20 kms de Bressuire. Jacques et Bernadette habitent eux aussi une maison mitoyenne. Mais à la différence de Sandrine, ils en sont propriétaires. Des propriétaires très modestes. Tous deux sont retraités : lui touche une pension de 1300 euros, après une carrière comme employé dans une usine de Cholet ; elle ne perçoit qu’un montant minuscule, s’étant occupée de sa belle-mère invalide pendant des années.
Le couple a acheté la maison il y a dix ans, à crédit, et pas cher. Depuis, les radiateurs électriques et l’antique poêle à fioul ont lâché. Bernadette et Jacques se sont habitués à vivre sans quasiment chauffer. « On met des bonnets et des polaires… Le matin, c’est frais », reconnaît Bernadette. Le couple vit sur la brèche, fait ses courses à l’épicerie sociale une fois par mois, n’a « pas mangé de viande rouge depuis un an », rogne sur les soins dentaires, les vêtements, le coiffeur, et met un point d’honneur à entretenir ses cinq chats. « On ne va pas les tuer, quand même ! », lance Bernadette.
Réunion de chantier à venir
François et Jean-Yves, un autre binôme parmi la quinzaine de bénévoles qui composent l’équipe « précarité énergétique » de Bressuire, sont venus faire le point avec le couple. Car dans trois jours, Bernadette et Jacques vont accueillir les artisans en charge d’effectuer les travaux de rénovation thermique de la maison.
François et Jean-Yves assisteront aussi à cette réunion de chantier : ils sont présents aux côtés du couple à chaque étape. Ce sont eux qui, sollicités par l’assistante sociale, ont aidé Bernadette et Jacques – dépourvus de connexion internet – à déposer leur demande de subvention auprès de l’Anah*. Eux encore qui ont réalisé les demandes de devis. Isolation du grenier, des murs, remplacement des menuiseries, pose d’un poêle à pellets, d’une ventilation… Il y en a pour près de 25 000 euros, dont 16 000 sont financés par les aides publiques. « Une somme pareille, où est-ce qu’on allait la trouver ? Sans le soutien de bénévoles comme François, on n’aurait pas su à qui s’adresser », témoigne Bernadette.
*Agence nationale de l’habitat
Reste à charge zéro
Pour réduire à zéro le reste à charge à payer par Jacques et Bernadette une fois les aides France Rénov’ déduites, les bénévoles sont allés chercher des financements complémentaires, auprès des caisses de retraite, de l'agglomération du Bocage Bressuirais et de la commune d'Argentonnais mais également d’une fondation privée et de son dispositif Watt solidaire. Ce dernier propose aux ménages de louer la toiture de leur habitation pour une durée de 20 ans et d’y installer des panneaux solaires photovoltaïques. Par la revente totale de l’électricité produite, Watt Solidaire est en mesure de verser un loyer en une fois, correspondant aux 20 ans de production. Soit 1500 euros environ dans le cas de Jacques et Bernadette, pile l’équivalent de leur reste à charge. Sans François et Jean-Yves, le couple n’aurait jamais eu connaissance de cette opportunité.
Rassurer
« Est-ce que vous avez encore des interrogations sur le déroulement du chantier ? » interrogent François et Jean-Yves. Bernadette s’inquiète pour ses chats. Que vont – ils devenir pendant la grosse semaine que vont durer les travaux ? François se veut rassurant. « Les artisans vont commencer par le rez-de-chaussée, vous pourrez mettre vos animaux en sécurité à l’étage ». Le couple est également soucieux de savoir ce qui va être entrepris dans le grenier. Ils veulent en conserver une partie pour stocker des affaires. « C’est important d’être à l’écoute », souligne François. Pas question non plus de forcer la main des propriétaires qui souhaitent conserver leur cuisine dans une partie pourtant très mal isolée de la maison, ouvrant sur leur petit jardin.
Se projeter
Bernadette et Jacques ne sont pas spécialement impatients de se chauffer au poêle à granulés l’hiver prochain. Ils s’interrogent sur le fonctionnement de cet équipement. « Il va falloir acheter un aspirateur spécial, croit savoir Bernadette… On n’en trouve pas dans les magasins d’ici ». Finalement, la retraitée pose son regard sur les murs du séjour, dont la tapisserie est balafrée par les griffures de ses amis à poils. « Peut-être qu’on pourra faire un petit rafraichissement quand les travaux seront terminés..., avance-t-elle. Ça nous occupera ! ». Comme le début d’une projection…